Type de document : article scientifique publié dans Zilsel
Auteur : Dominique Guillo
Extrait : Depuis une trentaine d’années, un courant de pensée s’est peu à peu installé dans le paysage des sciences humaines et sociales en invoquant la nécessité de changer radicalement le regard porté dans ces disciplines sur les « non-humains » et, plus spécifiquement, sur les animaux. Si l’on en croit les représentants les plus en vue de ce courant, la révolution à accomplir serait d’une ampleur sans précédent, le mal étant profond, ancien et largement répandu. Il s’agit, en effet, de faire comprendre aux « Occidentaux » – et à tous ceux et celles qui, sur la planète Terre, auraient adopté, de gré ou de force, leur mode de pensée – qu’une brume a envahi leurs esprits depuis près d’un demi-millénaire avec l’avènement de la « Modernité ». Une brume qui leur a fait prendre l’image qu’ils se font du monde pour le monde lui-même, les catégories avec lesquelles ils le découpent pour ses traits constitutifs. Le regard « occidental », « moderne », serait ainsi habité par une « ontologie » (Descola) fondée sur un « Grand Partage » (Latour) entre Nature et Culture. Ce partage fondamental serait redoublé par toute une série d’autres partages, opérés par d’autres dichotomies, lesquelles viendraient renforcer la précédente en s’alignant sur elle, distribuant ainsi les êtres de chaque côté d’une frontière étanche : Matière / Esprit, Objet / Sujet, Primitif / Moderne, Non-humain / Humain, etc. La « Modernité » aurait ainsi opéré un coup de force ontologique qui aurait ravalé au rang de superstitions les ontologies des autres sociétés – et donc les autres manières de concevoir les non-humains – et relégué indistinctement tous les non-humains dans un vaste ensemble de choses inertes dépourvues d’agentivité.