Type de document : Article publié dans Le Monde
Auteur : Mathilde Gérard
Extrait : Saisi par une association de défense des animaux, le Conseil d’Etat doit se prononcer sur l’absence de décret d’application d’un article de la loi EGalim sur les bâtiments d’élevages de poules.
Quand il n’était encore que candidat à la présidence de la République, en février 2017, Emmanuel Macron avait fait la promesse, s’il était élu, de faire « disparaître l’élevage en batterie de poules pondeuses ». A moins d’un an de la fin son mandat, près d’une poule pondeuse sur deux (47 %) est toujours élevée en cage en France, même si cette proportion diminue d’année en année.
Si ce mouvement doit davantage à l’impulsion des consommateurs et de la grande distribution – qui peu à peu se détournent des systèmes d’élevage en cages – qu’à l’action politique, une initiative avait néanmoins été prise par les parlementaires. Lors de l’examen de la loi Agriculture et alimentation (EGalim) en 2018, ils avaient voté l’interdiction de construire ou réaménager tout bâtiment en cages pour les poules pondeuses.
Ce moratoire avait pour but de faciliter la transition vers des modes d’élevage alternatifs, sans pénaliser les éleveurs déjà installés. L’article L214-11 du code rural et de la pêche maritime, ainsi introduit, devait toutefois se traduire par un décret, qui, deux ans et demi après la promulgation de la loi, n’a toujours pas été publié.
Pour l’association Compassion in World Farming (CIWF) France, qui a introduit un recours devant le Conseil d’Etat, l’absence de décret équivaut à un non-respect de la loi. « Ce vide juridique, c’est une inaction de la France, qui laisse pourrir la situation », estime Agathe Gignoux, chargée d’affaires publiques de CIWF.
Absence de décret
Dans leur réponse à la requête de l’ONG, les services du ministère de l’agriculture ont considéré qu’un décret n’était pas nécessaire pour que la loi s’applique, « l’interdiction prévue étant suffisamment claire ». Mais dans ses conclusions présentées vendredi 7 mai, lors de l’audience devant le Conseil d’Etat, la rapporteuse publique a au contraire estimé que « la publication d’un décret est une condition nécessaire à l’application de l’article L214-11, un seul renvoi au règlement ne suffisant pas ».
La rapporteuse a notamment rappelé que lors, de l’examen du texte à l’Assemblée et au Sénat, la notion de « réaménagement de bâtiment » avait été particulièrement débattue par les législateurs et que ces derniers avaient renvoyé sa clarification à un décret. Celui-ci devrait notamment préciser l’étendue des réaménagements concernés et, par exemple, distinguer le cas d’un éleveur devant faire une réparation, de celui opérant des investissements structurels sur son bâtiment.
La rapporteuse publique a par ailleurs souligné que l’absence de décret, plus de deux ans et demi après la promulgation de la loi, dépassait le cadre d’un « délai raisonnable » : « Ce délai n’est justifié par aucune circonstance », relève-t-elle. Dans ses conclusions, la rapporteuse propose au Conseil d’Etat, qui rendra sa décision dans les prochaines semaines, d’enjoindre au gouvernement de rendre un décret dans un délai de six mois, assorti de 200 euros d’amende par jour de retard.
« C’est très positif que la rapporteuse reconnaisse qu’il faut un décret d’application : cela signifie que notre démarche était fondée, a réagi Agathe Gignoux. Nous espérons désormais que l’arrêt du Conseil d’Etat suivra ces conclusions, et nous poursuivrons nos demandes sur le fond pour un décret d’application qui ne restreigne pas le moratoire adopté lors de la loi EGalim. »
Un article de loi « indispensable »
Sept autres associations étaient associées à CIWF pour ce recours, dont Welfarm, la Fondation Brigitte Bardot et la Société protectrice des animaux (SPA). « Il faut rappeler dans quel esprit la loi EGalim a été votée, poursuit Nikita Bachelard, de la Fondation Droit animal (LFDA), également soutien de l’action de CIWF. Ce petit article sur les bâtiments de poules pondeuses avait été adopté après un amendement parlementaire. L’objectif était de permettre une transition vers la fin de l’élevage en cages. »
« On a encore 28 millions de poules pondeuses en cages en France, dans la moyenne haute européenne, alors que d’autres pays avancent beaucoup plus vite », insiste Agathe Gignoux
L’association rappelle notamment qu’en 2012, en vertu d’une directive européenne sur les « cages aménagées », de nombreux éleveurs français avaient procédé à de lourds travaux pour se conformer à cette réglementation. Ces investissements avaient ensuite été un frein pour la transition vers le hors-cage. « On ne veut pas refaire cette bêtise en permettant de nouveaux investissements dans les cages », résume Nikita Bachelard. Même si « l’article de la loi EGalim n’est pas révolutionnaire – il ne s’agit que d’interdire des réaménagements –, il est indispensable. On a encore 28 millions de poules pondeuses en cages en France, dans la moyenne haute européenne, alors que d’autres pays avancent beaucoup plus vite », insiste Agathe Gignoux. L’Allemagne notamment interdira totalement les cages d’ici à 2025. Pour la responsable de CIWF, « sortir d’un système d’élevage en cage, c’est pourtant la base ».
Les cages sont reconnues comme le mode d’élevage le plus éloigné des besoins naturels des volailles, pouvant susciter des troubles du comportement, des risques de blessures et des maladies liées à la très forte densité. Pour autant, le spectre des alternatives est large, entre élevages au sol en bâtiment fermé, avec un environnement plus ou moins enrichi (perchoirs, grattoirs, accès à un « jardin d’hiver »…) et des élevages en plein air, « label rouge », ou en agriculture biologique.
Soutenue par 170 organisations, une initiative citoyenne européenne pour demander la fin des cages dans les élevages de l’Union européenne avait réuni plus de 1,4 million de signatures entre septembre 2018 et septembre 2019. Lors d’une audition publique sur le sujet par le Parlement européen, à la mi-avril, le commissaire européen à l’agriculture, Janusz Wojciechowski, a apporté son « plein soutien [à cette initiative] pour mettre en œuvre cette transformation ». La Commission doit encore y apporter une réponse formelle, attendue dans les prochaines semaines.