Type de document : article de Reporterre
Auteur : Inès Léraud
Extrait : Jean-Yves Ruelloux est éleveur de chèvres et producteur de fromages à Priziac, dans le Morbihan. Il a travaillé de façon classique une quinzaine d’années durant. Au gré des mises-bas et des surmenages, il a peu à peu révolutionné sa méthode de travail. […] Jean-Yves a tenté de traire quelques chèvres sans qu’elles donnent naissance à un nouveau petit. Devant le succès de l’expérience, il a étendu la méthode à l’ensemble de son troupeau. Ainsi, depuis 2005, ses chèvres ne mettent bas qu’une seule fois dans leur vie et sont ensuite en « lactation continue », jusqu’à douze années consécutives.
Au fil du temps, Jean-Yves Ruelloux dit avoir découvert de nombreux avantages à cette pratique :
– la grande partie des interventions vétérinaires sont occasionnées, comme dans tous les élevages, par les fins de gestation, les mises-bas, ou les mammites fulgurantes après mise-bas. La quasi-disparition de ces dernières dans son élevage a engendré d’importantes améliorations pour la santé de ses chèvres et des économies pour l’éleveur. De plus, il n’a plus besoin d’amener de chevreaux à l’abattoir ;
– le troupeau ayant une moyenne d’âge plus élevée que dans les fermes classiques, les relations sociales entre les chèvres se font à long terme : les plus âgées peuvent transmettre leur expérience aux plus jeunes et le troupeau est globalement plus calme ;
– les chèvres de Jean-Yves Ruelloux n’étant plus en gestation, elles donnent du lait toute l’année, même en hiver. La production laitière annuelle par chèvre est ainsi plus importante que dans un élevage classique.
Réduire le troupeau pour atteindre l’autonomie
Devant le gain de lait, et ayant fini de rembourser ses emprunts bancaires, Jean-Yves a fait le choix de réduire le nombre de ses chèvres à quinze. La pratique d’une lactation continue associée à une petite dimension de troupeau lui a permis d’atteindre l’autonomie sur sa ferme :
– il peut traire à la main, ce qui […] permet d’éviter l’achat d’une salle de traite et d’une trayeuse électrique, et donc d’économiser encore des frais de fonctionnement ;
– il nourrit ses chèvres uniquement avec des feuilles, des ronces, de l’herbe et un peu de son de blé acheté chez son voisin paysan-boulanger ;
– avec ce modèle, en vendant ses fromages (2,60 euros pièce) en direct sur un marché par semaine, et un autre toutes les deux semaines, Jean-Yves Ruelloux perçoit un bon Smic net par mois, et ce sans solliciter les subventions de la politique agricole commune (PAC) […];
– enfin, il est en mesure de garder à demeure les vieilles chèvres « en retraite » jusqu’à leur belle mort. […]Le témoignage de Jean-Yves Ruelloux a […] retenu l’attention de plusieurs vétérinaires. Son élevage est maintenant suivi par Aziliz Klapper, qui exerce dans le nord du Finistère […]. Si la lactation continue est à ses yeux une réponse à la souffrance animale et au gâchis de jeunes animaux dans la filière laitière, elle souligne que ce n’est pas la seule et qu’il existe des exemples où les cabris restent à la ferme, ne sont pas nourris au lait en poudre ou sont même élevés sous la mère. […]De son côté, Michel Bouy, qui exerce comme vétérinaire dans la Drôme, accompagne plusieurs élevages qui expérimentent la lactation continue depuis un an. Au cours de ce programme intitulé Lactodouce, il a constaté des productions naturelles de lait chez des chèvres… n’ayant jamais été gestantes. Une observation partagée depuis deux ans par Robert Episse, un chevrier ardéchois ayant opté pour la lactation longue en 2020 ou par Jean-Yves Ruelloux qui parle alors, avec humour, d’« immaculée lactation ». Le monde de l’élevage laitier low-tech n’en est sans doute qu’au début de ses découvertes.
Podcast sur le même sujet diffusé dans l’émission Les Pieds sur terre le 24 octobre 2022 (28 min) : Un chevrier qui fait des émules