Type de document : Article publié dans Le Monde
Auteur : Mathilde Gérard et Mariama Darame
Extrait : Si 146 parlementaires ont apporté leur soutien au texte, il manque encore 39 élus pour passer à l’étape du recueil des signatures de citoyens
Cela fait plusieurs mois que le compteur des parlementaires qui soutiennent le principe d’un référendum d’initiative partagée (RIP) sur la condition animale reste bloqué à 146. Pour que le processus s’enclenche et passe à l’étape du recueil des signatures de citoyens, il faudrait que 39 députés ou sénateurs supplémentaires en valident le principe : une marche qui semble de plus en plus hors de portée.
Lancé début juillet 2020 par trois entrepreneurs, Xavier Niel (groupe Iliad, également actionnaire à titre individuel du Monde), Marc Simoncini (fondateur du site Meetic) et Jacques-Antoine Granjon (Veepee, ex-Vente privée) et l’animateur Hugo Clément, l’initiative a été concertée avec une vingtaine d’associations engagées dans la protection animale. Six mesures ont été retenues pour être portées au débat, dont l’interdiction de l’élevage en cage d’ici 2025 et des élevages intensifs d’ici 2040, la fin des élevages à fourrure, de la chasse à courre ou encore des spectacles mettant en scène des animaux sauvages.
Quelques jours après le lancement du projet durant l’été, des dizaines de parlementaires, de toutes tendances politiques, avaient exprimé leur soutien, mais le texte semble désormais avoir atteint son plafond de verre. Face aux réactions très hostiles de certains groupes de citoyens, notamment prochasse, vingt-trois élus (dix-neuf députés et quatre sénateurs) ont préféré rétropédaler et retirer leur soutien. Le renouvellement du Sénat fin septembre n’a pas non plus amené la nouvelle vague de signataires qu’espéraient certains.
Dommage de refuser le débat
Le processus du RIP, strictement encadré par les textes, prévoit plusieurs étapes successives : d’abord le recueil de l’aval d’au moins 185 parlementaires, puis, à partir de ce moment et dans un délai de neuf mois, celui de 4,7 millions de signatures citoyennes. Si celles-ci étaient bien recueillies (une étape sur laquelle a échoué le précédent projet de RIP contre la privatisation de Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), la proposition de loi serait alors débattue au Parlement, et en cas de non-adoption, soumise à un référendum.
« Je pense que malheureusement le RIP ne prospérera pas, commente Loïc Dombreval, député (LRM) des Alpes-Maritimes. Même si je ne suis pas d’accord avec tout ce que contient le texte, je trouve dommage de refuser le débat, y compris sur les sujets qui fâchent. » Pour plusieurs députés, c’est précisément parce que le texte du RIP comprend des dispositions sur l’élevage et la chasse que des parlementaires refusent de le soutenir. « J’en veux beaucoup à ceux qui ont signé initialement et se sont retirés par la suite, déplore Dimitri Houbron, député (Agir ensemble) du Nord. Bien sûr qu’on a des pressions, mais je reste convaincu que c’est une juste cause. Ce référendum a le mérite de simplement demander le débat sur ces questions. »
Si les députés et sénateurs ne se pressent plus pour soutenir l’initiative, le site Internet du référendum continue, lui, de recevoir de nouvelles inscriptions – un peu plus de 900 000 fin janvier – en prévision d’une possible phase de recueil de signatures citoyennes. Pour les promoteurs du RIP, c’est le signe d’un décalage entre les élus et les attentes des citoyens : « Alors même que l’on ne fait pas campagne, le référendum continue de fédérer les Français ; le blocage est chez les parlementaires », assure Jennifer Bierna, communicante qui fait partie du noyau d’origine des six initiateurs du RIP, qui déplore : « Si on circonscrit le débat d’entrée de jeu parce qu’on a peur, c’est que notre démocratie est malade. » Pour le président de la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale (LRM), Roland Lescure, le RIP est « souvent utilisé comme un moyen pour contourner le Parlement notamment sur des sujets sur lesquels il est facile d’être dogmatique. »
Les initiateurs du RIP ne s’avouent cependant pas encore vaincus. « On n’est pas pressés, on savait que ça allait être long. Comme on a aucune limite juridique dans le temps, on peut très bien continuer le processus des mois, voire des années », affirme Hugo Clément. Par ailleurs, la proposition de loi sur la maltraitance animale défendue par la majorité, dont deux dispositions (sur les cirques et delphinariums, ainsi que sur les élevages de visons) font écho à des articles du RIP, obligera probablement ce dernier à se repositionner.
Les promoteurs du référendum peuvent néanmoins se satisfaire d’avoir donné plus de visibilité à la cause animale et espèrent en faire un sujet dans la campagne pour la présidentielle de 2022. « Les politiques de tout bord ont très bien conscience désormais que la question animale est un marqueur du débat public et qu’il y a de plus en plus de gens prêts à se positionner en fonction de ce marqueur-là. C’est la grande victoire des associations et l’intérêt de ce RIP », souligne Hugo Clément.