Type de document : Article publié dans 20 minutes
Auteur : Fabrice Pouliquen
Extrait : Intensif, industriel, fermes-usines… Chacun avec ses mots, plusieurs candidats à la présidentielle prônent une sortie des élevages jugés les plus impactant pour le bien-être animal, l’environnement, la santé. Mais ça veut dire quoi au juste ? Et comment faire ?
Jamais l’enjeu de sortir de l’élevage intensif n’avait été autant mis sur la table avant une présidentielle. Plusieurs candidats portent cette idée, de Yannick Jadot, qui en fait l’une de ses premières mesures, à Jean-Luc Mélenchon, qui prône une sortie dès 2027.
L’idée derrière est de « faire moins mais mieux ». Hélène Thouy, candidate du Parti animaliste, qui n’a pas eu ses 500 parrainages, visait une division par deux de la production de protéines animales d’ici à 2027.
Reste à convaincre les éleveurs déjà installés dans les modèles intensifs à en sortir, mais aussi à convaincre les Français de revoir leurs consommations alimentaires. […].
Les fermes-usines… mais pas que ?
Hélène Thouy précise bien les deux : « industriel » et « intensif ». Dans les deux cas, il n’y a pas de définition officielle. Pour « élevage industriel », le critère pris en compte est celui du nombre d’animaux, en s’appuyant le plus souvent sur les seuils utilisés pour déterminer les Installations classées pour la protection de l’environnement (IPCE). Soit des d’exploitations industrielles ou agricoles susceptibles de créer des risques ou de provoquer des pollutions ou nuisances. « Elles se répartissent en trois régimes suivant leur dangerosité : « déclaration », « enregistrement » et « autorisation » », détaille Suzanne Dalle, chargée de campagne agriculture à Greenpeace. En juin 2020, l’ONG est partie de la troisième catégorie pour déterminer le nombre de « fermes-usines » en France. « Cela correspond aux élevages qui dépassent les seuils de 750 emplacements pour les truies, 2.000 pour les porcs de production (plus de 30 kg), plus de 40.000 emplacements pour les volailles, plus de 400 pour les vaches laitières, reprend Suzanne Dalle. Soit des nombres très au-dessus des moyennes en France. »
Greenpeace dénombrait alors 3.300 fermes-usines en France, dont la moitié en Bretagne. Elles ne représentent qu’un petit pourcentage sur le nombre total d’élevages dans leurs filières respectives (20 % des fermes de volailles, de chair et de ponte). En revanche, elles concentrent une part importante du nombre total d’animaux élevés (plus de 38 % des poulets de chair et plus de 70 % des poules pondeuses).
Mais on peut être un petit élevage et être dans un mode de production intensif. Pour définir ce dernier, Agathe Gignoux, chargée d’affaires publiques au CIWF France, ONG qui promeut un élevage durable, ajoute en effet d’autres critères à celui de la densité. « C’est l’absence d’accès à l’extérieur pour les animaux, indique-t-elle. Mais aussi le recours à une génétique tournée vers la productivité, avec des souches d’animaux choisis pour atteindre au plus vite leur poids d’abattage, même si cette croissance ultrarapide génère des fractures et de forte mortalité ». Sur le milliard d’animaux élevés chaque année en France pour notre consommation de viande, d’œufs et de lait, « 80 % le sont dans un modèle intensif », indique-t-elle. Sans prise en compte, donc, de leurs besoins élémentaires […].
Quelle place pour le « faire moins mais mieux » ?
Faut-il encore tout changer ? « Il faudra qu’on nous accompagne », prévient Claude. Pour Hélène Thouy, le principal obstacle est celui des dettes contractées. « L’État doit racheter celles des éleveurs qui décident de quitter l’intensif et, en plus, aider financièrement ceux qui se convertiraient dans la production de cultures végétales », estime-t-elle. La candidate du Parti animaliste chiffrait un budget total à 10 milliards d’euros. […]Une vision qui agace Etienne Gangneron. Le vice-président de la FNSEA, premier syndicat agricole, est certain des améliorations continues des pratiques dans les élevages. « Quelle que soit leur taille, un critère qui n’a aucun sens, estime-t-il. Des animaux peuvent vivre dans de très mauvaises conditions dans de petits élevages et tout l’inverse dans des plus grands. Ce sont aussi ces derniers qui sont soumis aux normes environnementales les plus strictes. » Quant à réduire la production de viande en France, Etienne Gangneron craint l’augmentation des coûts qu’elle engendrera, « notamment sur les viandes de volailles et de porcs, les moins chères et les plus consommées ». Les consommateurs suivront-ils ? C’est la question que pose Claude, qui ne « veut pas vivre d’aides financières mais bien de son travail » Etienne Gangneron, aussi, en doute : « Les ONG ont beau dire, ce que l’on constate, c’est qu’une majorité de Français achète au moins cher. Il faut aussi répondre à cette demande. »
S’attaquer à nos modes de consommations, l’autre impératif ?
Les partisans d’une sortie de l’élevage intensif n’ignorent pas cet enjeu et font du changement de nos habitudes alimentaires – notre consommation de viande a quasi-doublé depuis l’Après-Guerre – un levier majeur de la transition qu’elles prônent. Dans son programme, Hélène Thouy précisait vouloir réduire de 50 % autant la production que la consommation de viande en France d’ici à cinq ans.
« C’est possible si on ne cache plus le coût des externalités négatives de la production de viande (sanitaire, environnemental…), si on sort enfin de cette idée si souvent répétée qu’il faut en manger à tous les repas, et si on réapprend encore à cuisiner le végétal », énumère la co-présidente du Parti animaliste.