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Cognition-émotionsEthique-sociologie-philosophie

The question of animal emotions

By 24 mars 2022mai 25th, 2022No Comments

Type de document : Article de perspective publié dans Science

Auteurs : Frans B. M. de Waal, Kristin Andrews

Extrait en français (traduction) : La question des émotions animales

[…] Après une longue période de négation cartésienne des émotions animales en raison de doutes sur ce que les animaux ressentent, voire de scepticisme quant au fait qu’ils ressentent tout court, la plupart des spécialistes des sciences affectives ont établi une distinction entre sentiments et émotions. Les sentiments sont des états conscients privés qui ne sont pas observables publiquement et sont donc inaccessibles à la science, alors que les émotions sont des états physiologiques et/ou neurologiques mesurables qui se reflètent souvent dans le comportement. Les sciences affectives se concentrent sur les émotions des animaux tout en restant généralement neutres sur les sentiments qui leur sont associés. […]Les neurosciences affectives s’appuient sur les animaux pour étudier quelles zones du cerveau et quels circuits neuronaux sont activés lors de réactions émotionnelles spécifiques, comme la peur, la colère, le dégoût et l’attirance. Ces résultats sont souvent étendus à l’homme. Ces travaux ont commencé par des observations du comportement des animaux suggérant des états émotionnels. […] Les recherches ont révélé que, par exemple, les changements physiologiques, la baisse de la température des extrémités et l’activation de l’amygdale lors de la peur sont sensiblement similaires chez les rats craintifs et les humains craintifs.  Même en dehors des mammifères, on observe des continuités dans l’expression et la physiologie sous-jacente des émotions. Les recherches en endocrinologie comparée, par exemple, révèlent le rôle des glucocorticoïdes (stress) et d’un système peptidique de type ocytocine/vasopressine (reproduction, liens affectifs) chez un large éventail d’animaux, dont les invertébrés. […]


Les outils comportementaux permettant d’évaluer les réponses émotionnelles ont également été affinés, comme le test du biais cognitif. Dans ce paradigme, les chercheurs manipulent d’abord l’environnement des animaux, en le rendant riche ou pauvre, ou bien calme ou perturbant. Ensuite, ils entraînent les sujets sur deux stimuli différents, tels qu’un son élevé ou faible, qui déclenche un renforcement positif ou négatif. En présentant ensuite aux animaux un stimulus ambigu, comme une tonalité intermédiaire, ils peuvent évaluer leur optimisme (approche) ou leur pessimisme (évitement) face au stimulus. Le résultat typique chez les mammifères et les oiseaux est qu’un environnement pauvre affecte négativement leurs attentes vis-à-vis du monde. […]


Les animaux sont extrêmement sensibles aux signes d’émotion chez leurs congénères, ce qui entraîne des réactions empathiques, comme la consolation des individus en détresse par le contact corporel, et des comportements synchronisés, comme lorsque la peur et l’alarme d’un individu suscitent la peur et l’alarme chez les congénères voisins. Des recherches en endocrinologie comparée, par exemple, révèlent le rôle des glucocorticoïdes (stress) et d’un système peptidique de type ocytocine/vasopressine (reproduction, liens affectifs) chez un large éventail d’animaux, dont les invertébrés.  […]


Il n’est pas difficile de voir que le déni des émotions animales, et par extension des sentiments animaux, a été moralement commode au cours de l’histoire de l’exploitation animale par l’homme. À l’inverse, leur reconnaissance ne peut que bouleverser nos décisions morales. En effet, la sensibilité est largement considérée comme suffisante pour ce que les éthiciens appellent la qualité morale, c’est-à-dire le fait que les intérêts d’une personne comptent moralement. En pratique, cela signifie que pour agir moralement, une personne doit prendre en compte les individus ayant un statut moral. Bien que nous ayons l’habitude de penser à la façon dont nos actions affectent les autres humains, la reconnaissance de la sensibilité animale généralisée exige que nous remarquions et considérions également notre impact sur les autres espèces. Ainsi, la sensibilité animale ne peut que compliquer un monde moral déjà complexe. […]Avec un nombre croissant d’espèces dont les états émotionnels ont un statut moral, qu’en est-il de la manière exacte dont nous devons les traiter ? Il reste ici plus de questions que de réponses. Pour progresser, il faut connaître la gamme et la variété des émotions et des sentiments des animaux. Il n’est pas exagéré de supposer que pour de nombreuses espèces, l’évitement de la douleur n’est qu’un intérêt parmi d’autres. Par exemple, la recherche sur l’empathie animale peut révéler que les vaches sont bouleversées par la douleur de leur petit, un intérêt supplémentaire qui va au-delà du désir d’éviter leur propre douleur. Ces intérêts supplémentaires doivent également être pris en compte lors de la prise de décisions concernant les bonnes pratiques d’élevage et d’agriculture. La multiplication des intérêts entre un plus grand nombre d’espèces entraîne des conflits d’intérêts plus prononcés et plus nombreux entre les humains et les autres animaux.


L’éthique philosophique offre des théories et des outils pour gérer les conflits d’intérêts, mais si l’on ne comprend pas le large éventail de caractéristiques qui peuvent être moralement pertinentes, ces outils ne sont que d’une aide limitée. C’est pourquoi nous pensons qu’une plus grande intégration entre l’éthique et la science affective par les éthologues, les psychologues comparatifs et les neuroscientifiques est nécessaire pour parvenir à des conclusions morales. Cette intégration ne peut pas venir des éthiciens seuls, mais nécessite que les étudiants en comportement animal s’engagent dans les implications éthiques de leur travail, ce que jusqu’à présent la plupart d’entre eux ont été réticents à faire.

Extrait en anglais (original) : […] After a long period of Cartesian denials of animal emotions owing to doubts about what they feel, or even skepticism that they feel at all, most affective scientists have settled on a distinction between feelings and emotions. Feelings are private conscious states that are not publicly observable and hence are inaccessible to science, whereas the emotions are measurable physiological and/or neural states that are often reflected in behavior. Affective science concentrates on the emotions of animals while generally staying neutral on their associated feelings. […]Affective neuroscience relies on animals to study which brain areas and neural circuits are activated during specific emotional reactions, such as fear, anger, disgust, and attraction. These findings are often extended to humans. This work began with observations of animal behavior suggestive of emotional states. […] research has found that, for example, physiological changes, lowered temperature of the extremities, and activation of the amygdala during fear are notably similar in fearful rats and fearful humans. Even outside of the mammals, continuities in the expression and underlying physiology of the emotions are observed. Research in comparative endocrinology, for example, finds a role for glucocorticoids (stress) and an oxytocin-/vasopressin-type peptide system (reproduction, bonding) across a wide range of animals that includes invertebrates. […]


Behavioral tools to evaluate emotional responses have been sharpened, too, such as the cognitive bias test. In this paradigm, investigators first manipulate the animals’ environment, making it rich versus impoverished, or calm versus disturbing. Then they train subjects on two different stimuli, such as a high versus a low tone, which triggers either positive or negative reinforcement. By subsequently presenting the animals with an ambiguous stimulus, such as an intermediate tone, they can gauge their optimism (approach) or pessimism (avoidance) about the stimulus. The typical outcome in mammals and birds has been that a poor environment negatively affects their expectations about the world. […]


Animals are exquisitely sensitive to signs of emotion in conspecifics, resulting in empathic reactions, such as consolation of distressed individuals by means of body contact, and synchronized behavior, such as when the fear and alarm of one individual arouses fear and alarm in nearby conspecifics. […]


It is not hard to see that the denial of animal emotions, and by extension animal feelings, has been morally convenient during human’s history of animal exploitation. Conversely, their recognition is bound to shake up our moral decision-making. This is because sentience is widely taken to be sufficient for what ethicists call moral standing, or the status of having one’s interests morally matter. What this means in practice is that to act morally, a person must take into account those individuals with moral standing. Although we are used to thinking about how our actions affect other humans, recognizing widespread animal sentience requires us to also notice—and consider—our impact on other species. This way, animal sentience is bound to complicate an already complex moral world. […]With an increasing number of species whose emotional states have moral standing, what follows about how exactly we should treat them? Here there remain more questions than answers. To make progress requires knowing the range and variety of animal emotions and feelings. It is not much of a stretch to presume that for many species, avoidance of pain is just one interest among many. For example, animal empathy research may find that cows are distressed by seeing their calf in pain, an additional interest that goes beyond the desire to avoid their own pain. These added interests also need to be considered when making decisions about good husbandry and agricultural practices. With more interests among more species come more pronounced and numerous conflicts of interest between humans and other animals.


Philosophical ethics offers theories and tools for managing conflicts of interests, although without understanding the wide range of features that may be morally relevant, the tools are only of limited help. For this reason, we think that greater integration between ethics and affective science by ethologists, comparative psychologists, and neuroscientists is needed to reach moral conclusions. This integration cannot come from ethicists alone but requires students of animal behavior to engage with the ethical implications of their work, which until now most have been reluctant to do.

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Extrait du site de Science